Et si on se racontait

Notre histoire est tissée de rencontres.
Lors des festivités liées à nos 10 ans d’existence, nous avons entrepris de les raconter.
“Et si on se racontait…” est le titre que nous avons donné à un petit recueil de textes.
Nous vous livrons ici quelques morceaux choisis. Nous espérons, au travers de ces lignes, partager avec vous les valeurs qui nous guident au quotidien.

Le recueil complet est disponible au format PDF (xxx Ko).

Extraits :

« Qui me dira que nous faisons tous le même travail ?
Un même travail mais de mille manières différentes… »

Etape, Marie

« Le silence.
Un regard.
Des regards qui se croisent.
On attend.
On attend notre tour ou plutôt celui du jeune et de sa famille.
Mais entre lui et sa famille, c’est un peu tendu, alors, entre nous, lui et sa famille, c’est un peu tendu aussi.
Deux ou trois mots d’échange juste pour dire qu’on se dit quelque chose, qu’on parle pour ne pas parler d’autres choses, des choses plus difficiles à parler.
Et puis le silence.
Le silence toujours et les regards.
Le jeune se lève, marche, revient, s’assied, bouge nerveusement sur sa chaise, se relève pour la cinquième fois.
Deux mots et un demi-sourire juste pour combler le silence. La montre qu’on regarde pour poser son regard ailleurs.

Et puis, la porte s’ouvre. Enfin ! On se lève, on entre, la Juge nous attend. »

Etape, Myriam

Une jeune ado arrive chez nous.
Au cours d’une conversation de tous les jours, j’apprends qu’elle aime manger des coquilles Saint-Jacques…
Quelques temps plus tard, au cours d’une de mes soirées, je prends plaisir à lui en préparer…
Elle n’en mangera aucune !
Nous n’étions pourtant pas en conflit…
Les coquilles étaient fraîches, alors… ?
Cette attention était-elle tellement insupportable ?
Je ne saurai jamais exactement ce qui s’est passé ce soir-là…

Colline, Sandrine

« Nous vient une image : tel un équilibriste répétant son exercice avant le grand soir, il demande encore le filet le temps d’intégrer et de construire cette sécurité dans sa tête. Dès lors, il nous semble important de répondre à la demande de Françoise et de jouer le rôle de filet. Aussi, accompagnerons-nous Françoise dans l’élaboration de l’échafaudage de cette sécurité intérieure. »

Varappe, Stéphanie

Etre éduc ce jour-là, c’est :
Séparer Philippe et Patrick qui se disputent violemment dans le salon (« AAAAnne, ils se battent, viens viiiite… ») en risquant de recevoir une raclée.
Les envoyer se calmer : Philippe dans sa chambre (Vlan ! La porte claque) ; Patrick, je ne sais où (Vlan ! La porte d’entrée claque). Bon, il est dehors, ça va, je gère.
Essayer de reprendre son souffle dans la cuisine, miraculeusement déserte à cette heure (iiiinspirer).
Piquer les pommes de terre (exxxxpirer). Bon, elles sont trop cuites, on préparera de la purée (iiiinspirer).
Répondre à une des questions existentielles de Valérie qui déboule (sans pantoufles) dans la cuisine : « Anne, pourquoi tu respires si fort ? » (Ne te laisse pas déconcentrer Anne et exxxxpire). « Parce que Valérie, j’essaie de me calmer » (iiiinspirer)… « et pourquoi tu essaies de te calmer ? » (exxxxpirer). « Bon, écoute Valérie, là, je suis très énervée, alors, je répondrai plus tard à ta question, d’accord ? » (iiiinspirer). Exit Valérie de la cuisine, apparemment satisfaite de mes piètres explications. Bon, mon rythme cardiaque semble s’apaiser…
Vérifier une dernière fois la cuisson des saucisses.
Voir si Philippe et Patrick ont aussi retrouvé leur calme…

Colline, Anne

Réunion de jeunes. Moment particulier où sont réunis à la même table, jeunes, éducateurs et chef-éducatrice. Moment particulier car animé par un jeune choisi par l’équipe éducative. Son rôle est de veiller au respect des prises de parole, à la manière dont les choses sont dites… On l’appelle le cadreur .
Ce jeudi, il met tout en œuvre afin que la réunion soit productive. Il réfléchit à ce qui doit être dit, interpelle les jeunes et les adultes et ce pendant toute la journée précédent la réunion.
Concours de circonstances, ce jour-là, avant cette réunion, la chef-éducatrice convoque à tour de rôle la plupart des jeunes dans son bureau afin de leur faire part de décisions prises en équipe.
Ces entretiens provoquent des tensions… Les jeunes se démènent dans le groupe. L’unité du groupe est fragile.
Entre éducateurs, nous nous interrogeons sur l’opportunité de cette réunion, sur la richesse qui pourrait en émaner… alors que nous sentons le groupe prêt à exploser…
Surprise… Quand 10 minutes avant le début de la réunion, le cadreur me demande de préparer le thé (un des rituels du début de la réunion). Il a fait un tour chez les autres jeunes… Aucun jeune n’a souhaité mettre un point à l’ordre du jour mais aucun n’a remis en cause sa participation à la réunion.
Ennui… Quand 3 minutes avant le début, on découvre qu’une jeune en mal d’un “chez elle” prépare ses sacs. Elle veut partir. Action-réaction… Petit relais entre adultes pour que ce soit la personne la plus apte à comprendre et à contenir la jeune qui intervienne…
2 minutes… Les jeunes sont assis, ils attendent…
1 minute… La jeune en partance s’assied à la table… Bic et bloc de feuilles en main, elle prend son rôle de secrétaire…
Top départ… Le cadreur lance la réunion… D’abord un petit jeu prévu par les éducs afin de mettre chacun en lien… « Dites un MERCI à quelqu’un assis à cette table et envoyez-lui la pelote de laine tout en gardant le lien qui vous unira ».
MERCI…
Merci de ta proposition d’aide et de ton écoute. Merci de ton attention à moi malgré une entente parfois difficile. Merci de notre relation de confiance. Merci de continuer à m’accompagner dans ce que je vis de difficile. Merci de tes sourires, de ta bonne humeur. Merci d’être là…
Pouvoir du merci… Ce jour-là, chacun est resté autour de la table pendant une heure trente.

Etape, Marie

Il paraît que l’ambiance en bas est assez électrique…
Je descends donc pour prendre la température…
Haroun fait la vaisselle. Il a en effet l’air très tendu. Son visage est agressif et il marmonne entre ses dents… Je m’avance vers lui en lui disant : « Mais qu’est-ce qui se passe ? On dirait que tu es prêt à sauter sur quelqu’un… ». Puis, une intuition me fait rajouter… « à moins que tu ne fasses des efforts pour te retenir de pleurer… » Et là, effectivement, Haroun se laisse aller à verser quelques larmes et à partager sa détresse…

Etape, Patricia

Un jeune adolescent se lance tête baissée et plonge dans la piscine.
Le maître-nageur, confortablement installé sur sa chaise haute, observe la scène attentivement.
Après de longues secondes, le jeune intrépide sort enfin la tête de l’eau, il semble accablé, ses yeux montrent la peur. Inquiet, l’adulte sécurisant descend de son piédestal et se mouille les pieds sur le carrelage froid.
Le jeune nageur a entamé la traversée, ses gestes sont saccadés, désordonnés, son corps se maintient péniblement à la surface. Il semble en difficulté. Le maître-éducateur crie haut et fort ses conseils bienveillants : « Ne vois-tu pas le danger, reviens vite vers le bord ! »
Le jeune entêté continue sa course folle contre les profondeurs. Il avance mais sa respiration semble de plus en plus insuffisante.
L’adulte doit agir, se rendre utile. Il tend sa perche métallique au secours d’un drame prévisible.
Le nageur fou est déstabilisé, sa progression est mise à mal. Doit-il accepter l’aide ou trouver la force d’aller jusqu’au bout, se prouver à lui-même qu’il peut réussir quelque chose ? Il hésite mais il veut se battre seul. Il tente de crier : « Laissez-moi, je sais nager… » mais l’eau étouffe sa voix.
Insistante, la perche de la raison se transforme en piège irréversible. Dans un dernier sursaut de résistance contre l’aide contrainte, un geste brusque heurte violemment le métal froid…
Son corps est aspiré par le fond, son ombre disparaît dans l’eau.
Quelques bulles remontent à la surface… Elles resteront gravées à jamais dans la mémoire de l’éducateur.

Etape, Denis

Lisa a l’habitude de venir squatter mon bureau… Pour parler ou même pour ne rien dire… Juste profiter de ma présence… Travailler près de moi.
Elle est venue et je ne lui ai prêté qu’une attention distraite….
Elle est repartie… Est allée trouver Sandrine, une collègue pour lui poser l’une ou l’autre question… C’est avec elle que je la croise dans l’escalier et là, je remarque sa nouvelle coiffure et le lui dis… J’ai un sourire rayonnant en réponse et un clin d’œil de ma collègue… Lisa avait, entre autres, été lui raconter toutes les hypothèses qu’elle pouvait se faire sur mes raisons de ne pas la féliciter pour sa nouvelle parure…

Etape, Patricia